Rajotte, T. (2020). L’apport des sociologues dans l’explication et l’interprétation des difficultés d’apprentissage en mathématiques au primaire. Ce que nous apprend la recherche (CRIFPE), 1(1). https://doi.org/10.18162/cqnalr.2020.1.1
Au courant des dernières décennies, les recherches sur les difficultés d’apprentissage en mathématiques se sont essentiellement rapportées à deux courants distincts. D’un côté, les chercheurs issus des sciences cognitives soutiennent que les difficultés des élèves en mathématiques s’expliquent principalement par des facteurs intrinsèques à l’apprenant et qu’il est possible de prévenir ces difficultés en mettant en oeuvre des interventions visant à modifier les processus cognitifs de l’enfant. D’un autre côté, les chercheurs en didactique étudient le contexte à l’intérieur duquel émergent les difficultés en considérant les méthodes d’enseignement utilisées, la nature de la tâche présentée aux élèves ainsi que le rôle des interactions entre l’enseignant et l’élève (Giroux, 2013). Par ailleurs, durant les dernières années, les sociologues se sont graduellement insérés dans le débat concernant la nature des difficultés d’apprentissage et leur posture est de plus en plus reconnue par la communauté scientifique.
Dans la foulée des débats concernant l’interprétation des difficultés d’apprentissage en mathématiques, les chercheurs adoptant une perspective sociologique ont mis en lumière le rôle de différents facteurs sociaux dans l’explication de ces difficultés. En fait, l’arrière-plan culturel du pédagogue, découlant de son processus de socialisation et des valeurs qui lui ont été inculquées tout au long de sa vie, influencerait inconsciemment l’acte d’enseigner (Roiné, 2012). Conséquemment, l’historique scolaire de l’apprenant aurait une influence notable sur la nature des interactions auprès de l’enseignant ainsi que sur la dynamique des difficultés d’enseignement et d’apprentissage. Pour expliquer ce phénomène, Bourdieu (2002) met en relation les inégalités scolaires et les inégalités sociales en mentionnant que l’institution scolaire agit en tant que système de reproduction des inégalités. En fait, les tenants de la perspective sociologique concernant l’interprétation des difficultés d’apprentissage en mathématiques soutiennent que l’institution scolaire contribue à transformer le classement social des élèves en classement scolaire (Giroux, 2003).
Une étude récente réalisée par Rajotte, Germain, Beaupré et Beaudoin (2018) a mis en lumière différents résultats permettant de consolider l’importance de considérer la perspective sociologique dans l’interprétation des difficultés des élèves en mathématiques.
En impliquant plus de 700 élèves, cette recherche permet notamment de dégager que le revenu des parents explique 2,6% du rendement des élèves à un questionnaire écrit en mathématiques. Par contre, lorsque la perception des enseignants est considérée, l’influence des facteurs socioculturels est plus importante. En fait, les indicateurs ministériels de l’indice du milieu socioéconomique (IMSE) et l’indice du seuil de faible revenu (SFR) expliquent respectivement 35,6% et 10,0% de la variance de la perception des pédagogues concernant les difficultés d’apprentissage en mathématiques des élèves du primaire.
En questionnant des enseignants afin d’approfondir cette thématique, il en ressort que les difficultés en mathématiques s’expliquent essentiellement par le biais des interventions pédagogiques. Par contre, pour dépister les élèves ayant des difficultés d’apprentissage en mathématiques, certains enseignants affirment référer à des facteurs sociaux pour identifier des catégories d’apprenants (ethnie, langue maternelle, scolarité des parents, etc.).