« Le taux de précarité au sein de la profession enseignante se maintient autour de 40 % à 45 % à l’éducation générale des jeunes depuis les années 1980... »
Au Québec, il est devenu de notoriété publique que l’insertion
des nouveaux enseignants et enseignantes dans la profession
est particulièrement difficile. Selon une étude du Service des
indicateurs et des statistiques du ministère de l’Éducation, du
Loisir et du Sport (Létourneau, 2014), environ 30 % d’entre eux
quittent la profession après à peine deux ans de pratique; au
bout de cinq ans, ce pourcentage frôle les 50 %. Ce décrochage massif des nouveaux enseignants explique en bonne
partie les problèmes de pénurie de main-d’œuvre enseignante
vécus dans plusieurs régions de la province ces dernières
années. Par ailleurs, depuis vingt ans, on observe une hausse
importante du nombre d’enseignants non permanents. De manière générale, le taux de précarité au sein de la profession
enseignante se maintient autour de 40 % à 45 % à l’éducation
générale des jeunes depuis les années 1980; il est d’environ 75
% à la formation professionnelle au secondaire et à l’éducation
des adultes, cette dernière étant surtout aujourd’hui la continuité du cours secondaire pour les élèves qui l’ont échoué ou
abandonné.
Bref, ces quelques données indiquent que l’accès à la profession
est souvent semé d’embûches pour les nouveaux diplômés en
enseignement et que beaucoup trop d’entre eux abandonnent
la profession, ce qui représente pour la société québécoise un
coût humain et économique très élevé, sans parler des impacts
négatifs de ce phénomène sur la qualité de l’apprentissage
des élèves. Il n’existe pas bien sûr de recettes miracles à cette
situation problématique, à laquelle sont d’ailleurs confrontés
plusieurs pays et d’autres provinces canadiennes, notamment
l’Alberta et la Colombie-Britannique. Cependant, tant du
côté de la documentation internationale que de la recherche
québécoise, il apparaît clairement que les directions d’établissement ont un rôle crucial à jouer pour soutenir et retenir les
nouveaux enseignants dans la profession. Fondamentalement,
ce rôle consiste à accueillir, à suivre et à aider les nouveaux
enseignants, y compris ceux à statut précaire, tout au long de
leur processus d’insertion. Voici quelques-unes des principales
initiatives identifiées dans la documentation qui semblent favorables à la rétention des nouveaux enseignants. Toutes ces initiatives ne doivent pas être vues comme des moyens ponctuels,
mais comme des jalons dans le développement professionnel à
long terme des nouvelles générations d’enseignants.
- Les directions peuvent mettre en place dans leur établissement un
programme d’insertion professionnelle afin que l’accueil des nouveaux
collègues devienne une responsabilité collective de toute l’équipe-école. De tels programmes existent déjà dans certaines commissions
scolaires et certains établissements, mais ils sont encore trop peu
nombreux.
- Sous le leadership pédagogique de la direction, l’équipe-école
peut se doter d’une charte précisant les valeurs de l’établissement
qui serviront à orienter l’insertion des futurs collègues : intégrer des
enseignants n’est pas en effet seulement une affaire technique ou de
routines organisationnelles, mais un projet professionnel orientépar des
valeurs partagées entre les enseignants et les autres acteurs scolaires.
- Lorsque cela s’avère possible, les directions, en concertation avec
l’équipe pédagogique, devraient décharger les enseignants débutants
des groupes les plus difficiles et des tâches les plus lourdes.
- Cet allégement de la tâche (sur les plans qualitatif et quantitatif)
gagne à être couplé à des mesures d’insertion appropriées pour faciliter
leur acculturation au métier et aux contextes de travail. Par exemple,
après avoir sondé les nouveaux enseignants, la direction pourrait
mettre en place, s’ils en expriment le besoin, des formes de mentorat
assurées par un personnel enseignant chevronné pouvant comporter
notamment des observations en classe, du co-enseignement, de l’analyse de pratiques et des études de cas. La direction peut également
conseiller les débutants dans la gestion du quotidien (gérer la multitude
de tâches, surtout quand on a une tâche lourde, éclatée) et les aider
à s’organiser de manière efficace et à savoir prioriser, ce qui n’est
pas évident quand on n’a pas d’expérience.
- La formation initiale ne peut préparer à tous les aspects variés et
complexes du travail enseignant. Il est donc essentiel de considérer
l’insertion comme une nouvelle phase d’apprentissage, qui vient compléter et enrichir la formation initiale. Dans cet esprit, les directions
pourraient, s’ils en expriment le besoin, offrir aux nouveaux enseignants
du perfectionnement professionnel dans l’établissement, notamment
en gestion de classe, avec les élèves en difficulté d’apprentissage et
de comportement, etc. Ce perfectionnement professionnel pourrait
se faire en concertation avec les commissions scolaires et des réseaux
d’établissements.
- Plusieurs établissements ont mis en place ces dernières années
des communautés d’apprentissage professionnelles qui sont
souvent pilotées par les directions et auxquelles participent
les enseignants ou une partie d’entre eux. Y inviter les
nouveaux collègues semble une formule gagnante, car elle
permet de les intégrer à l’équipe-école et de les familiariser
rapidement avec les stratégies pédagogiques des enseignants chevronnés ainsi qu’avec la culture de l’établissement.
- Finalement, dans une recherche réalisée au Québec,
une équipe suit depuis quatre ans une cinquantaine de
nouveaux enseignants qui sont en train de s’intégrer
à la profession. Étant très majoritairement à statut précaire,
ces personnes ont enseigné ces dernières années dans plus
de 400 établissements scolaires primaires et secondaires du
Grand Montréal. Or, elles insistent toutes sur la nécessité
d’établir une bonne communication avec les directions
d’établissement, ce qui n’est pas toujours le cas, tant s’en
faut! Au fond, les attentes des nouveaux enseignants envers
les directions sont assez simples : ils souhaitent que les
directions prennent la peine de se déplacer pour les
rencontrer, de s’entretenir avec eux et leur présenter le
fonctionnement de l’établissement et l’équipe-école; ils
s’attendent à être traités avec équité et respect, et non
pas jugés de manière péremptoire à la moindre erreur;
enfin, ce qu’ils apprécient le moins, c’est d’être réduits au
rang de numéro sur une liste de rappel et d’être considérés
trop souvent comme une main-d’œuvre corvéable et jetable
après usage.
Au final, il semble clair que les enseignants et enseignantes
ont vraiment besoin de l’appui des directions lorsqu’ils débutent dans leur carrière, souvent dans des conditions de
travail difficiles, comme on l’a vu. Informer, rassurer, leur
témoigner de la confiance, valoriser leur travail et promouvoir une culture d’entraide sont tous, pour les directions,
des moyens à la fois simples et efficaces pour soutenir et
retenir les nouveaux enseignants dans la profession.