Intégration des cultures autochtones dans les contextes éducatifs de la petite enfance

L’importance de valoriser et d’intégrer les cultures autochtones dans les contextes éducatifs à la petite enfance pour permettre aux enfants de former leur identité individuelle et collective est reconnue depuis quelques années (Rowan, 2014). Les organismes internationaux, comme l’UNESCO et l’UNICEF encouragent ces initiatives et prônent le droit des enfants autochtones, de jouer, de parler leur langue maternelle et d’être éduqués en respectant leurs modes d’apprentissage et de développement, notamment, par l’exploration, l’observation, la découverte. En contextes éducatifs de la petite enfance (p. ex., maternelle, services d’éducation à l’enfance), le jeu est une approche pédagogique déployée avec de jeunes enfants. Nos recherches antérieures menées avec des membres de communautés autochtones montrent également que les enfants issus des Premiers Peuples s’adonnent à différentes formes de jeu, que ce soit à la maison, en services de garde et à l’école, en fonction du matériel qui leur est offert, mais aussi selon les événements qu’ils voient dans leur quotidien (Jacob et al., 2020). Les enfants reproduisent dans leur jeu et rejouent des activités provenant de leur environnement culturel et social (Eppley et al., 2022). Selon la théorie socioculturelle du jeu, ce dernier est une activité fondamentale pour le développement de l’enfant. Il permet notamment de développer le langage, la créativité, de savoir tisser des relations et la compréhension des événements. Il est un contexte d’apprentissage et de développement dans le Programme-cycle d’éducation préscolaire au Québec et dans celui du programme Te Whariki en Nouvelle-Zélande (MÉQ, 2021; MoE, 2020). Quels sont les savoirs autochtones mobilisés en contexte de jeu ? Comment les enseignantes transmettent-elles ces savoirs ? Est-ce que les savoirs autochtones sont présents dans toutes les formes de jeu ? À quels jeux les enfants autochtones jouent-ils ? Pour répondre à ces questions, un projet a été mis en place au Québec et en Nouvelle-Zélande.

Des partenaires essentiels à la réalisation du projet

L’intention première de réaliser le projet dans deux pays différents était de partager des pratiques pour nourrir la réflexion sur l’apprentissage par le jeu. Les membres de la communauté innue d’Ekuanitshit, située sur la Basse-Côte-Nord, et le personnel d’une école préscolaire située dans la ville de Kererū sur l’île du Nord en Nouvelle-Zélande ont été des partenaires à ce projet. C’est grâce à la collaboration et à l’implication des directions d’établissement, des enseignantes, des parents ainsi que des enfants fréquentant les classes d’éducation préscolaire que ce projet a été mené.

Mobilisation des savoirs autochtones dans les jeux des enfants

Selon les adultes participants à la recherche et les observations réalisées dans les classes de maternelle, les jeux contribuent au développement holistique des enfants tout en mobilisant des savoirs autochtones. Toutes les formes de jeu contribuent à former l’identité culturelle des enfants et à la renforcir si les parents participent aussi aux jeux à la maison. Les jeux en nature permettent aux enfants de se connecter avec l’environnement naturel, qui, lui, est une source de savoirs chez les Premiers Peuples.

  • À Ekuanitshit, les enfants ramassent des coquillages sur le bord de la plage. Ils sont libres de courir, d’explorer la nature, guidés par leur enseignante.
  • À Kererū, les enfants prennent soin du/de la Papatūānuku/Mother Earth (Terre Mère), notamment en cultivant et en arrosant les plantes dans le jardin.

Développement moteur : Les jeux sont des occasions pour permettre aux enfants de surmonter des défis et de faire plusieurs mouvements liés au développement de leur motricité globale et fine.

  • À Ekuanitshit, les enfants jouent à des jeux risqués en sautant les digues au bord de la plage.
  • À Kererū, les enfants montent aux arbres dans le grand espace extérieur de la cour de l’école; ils grimpent, se suspendent et se balancent sur les barres de singe.
  • Dans les deux écoles, les enfants s’adonnent à des activités de perlage, ce qui est représentatif de leur culture respective.

Développement socioémotionnel : Dans le jeu, les enfants montrent de l’affection, de la solidarité et du respect mutuel. Ils perpétuent l’humour et le rire qui sont des éléments fondamentaux de leur culture.

  • À Ekuanitshit, les enfants prennent soin des autres et apprennent la technique d’emmaillotage modélisée par les enseignantes lorsqu’ils jouent à des jeux de poupée.
  • À Kererū, les enfants plus âgés s'occupent des plus jeunes et vice versa. Ils s'aident mutuellement à grimper dans les modules de jeux extérieurs, se poussent sur les balançoires.

Développement langagier : Dans le jeu, les enfants communiquent, se concertent pour l’attribution des rôles, du matériel nécessaire et des règles. La participation d’un adulte dans le jeu permet de préciser des mots de vocabulaire en innu-aimun ou en langue maorie.

  • À Ekuanitshit, les enfants développent leur vocabulaire dans la langue innu-aimun en jouant avec des cartes imagées accompagnées de leur enseignante.
  • À Kererū, les enseignants jouent à différents jeux avec les enfants, dont le jeu de règles Kei a wai qui utilise la langue Māorie. Un autre jeu, le Titi toria, qui consiste à frapper en rythme sur des bâtons de bois, accompagné d'une waiata (chanson). La langue Māorie est également utilisée dans les histoires racontées par les enseignantes.

Développement cognitif : En jouant, les enfants planifient leurs actions et les exécutent. Ils développent notamment leur imagination et leur raisonnement mathématique.

  • À Ekuanitshit, les enfants échangent des idées, apprennent les différentes structures d’une maison, créent leur production lors d’un jeu de construction avec des blocs Lego.
  • À Kererū, les enfants dansent et chantent sur des waiata (chanson) Māorie. La culture est transmise; le sentiment d'appartenance et d'identité se forme à travers ces activités artistiques.
Photo de Elisabeth Jacob

Elisabeth Jacob

Professeure
Université du Québec à Chicoutimi

En savoir plus

  • Jacob, E., Lehrer, J. et Lajoie-Jempson (2020). La transmission culturelle des savoirs autochtones en contexte de jeu: Des réflexions sur la décolonisation de la recherche. Dans G. Maheux, G. Pellerin, S. E. Quintriqueo Millán et L. Bacon (dir.). La décolonisation de la scolarisation des jeunes Inuit et des Premières Nations : Sens et défis (p.169-194). Presses de l’Université du Québec.
  • Jacob, E., Pacmogda, P., Lehrer, J., Smith-Gilman, S., Ritchie, J. et Basile J. (sous presse). Perspective socioculturelle des jeux des enfants innus à l’éducation préscolaire. Revue internationale de communication et socialisation, XX-XX.
  • Peng, X., Ritchie, J., Jacob, E., Smith-Gilman, S. et Lehrer, J. (sous presse). Pedagogy of third space in Aotearoa New Zealand: Exploring the power of Indigenous culture in play. The Critical Social Educator, Play as a Liberatory Practice, XX-XX.
  • Eppley, K., Stagg Peterson, S. et Heppner, D. (2022). Valuing rural and Indigenous social practices: Play as placed learning in kindergarten classrooms. Dans S. Stagg Peterson et N. Friedrich (Éds), The Role of Place and Play in Young Children's Language and Literacy (p. 17-32), University of Toronto Press.
  • Rowan, M. C. (2014). Co-constructing early childhood programs nourished by Inuit worldviews. Études/Inuit/Studies, 38(1-2), 73-94. https://doi.org/10.7202/1028854ar